Quels liens subtils rapprochent le personnel du cycle romanesque de Solal, la voix lyrique des monologues intérieurs de Belle du Seigneur, les instances narratives des essais et le discours épidictique dédié à Winston Churchill ? Question a priori complexe. Foisonnante, parfois débordante dans sa polyphonie, l’œuvre de Cohen s’organise pourtant autour d’une ligne de force qui n’est pas immédiatement perceptible, celle de la table. Constituant un réseau de signes qui affleurent dans les textes, le champ de la nourriture se transforme en un langage porteur d’obsessions récurrentes. Poids des origines, héritage des traditions, comédie de l’amour, questionnements métaphysiques, tous les domaines s’évaluent à l’aune du comestible. Manger, c’est donner un sens à son existence. Mordre dans un chocolat, c’est goûter le présent et ses gourmandises, mais aussi renouer avec un passé inquiétant. De cet univers ambigu émerge cependant Mangeclous, le « vainqueur éternel ». Conviant les Valeureux à partager maints festins plus ou moins transgressifs, le personnage excède les contours de la figure burlesque pour sublimer le prosaïque. C’est par son regard que surgit la vision d’un monde dont la quête est celle d’une sagesse à hauteur d’homme. Refusant les codes d’une bourgeoisie vaudevillesque, Mangeclous élève l’appétit au rang de vertu, prône avec ironie les mérites du mensonge et érige le plaisir de manger en règle de vie. Nouvel avatar des géants rabelaisiens, ce prophète comique ne s’épanouit que dans le paradoxe et l’amour des nourritures.
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Albert Cohen, une poétique de la table
Quels liens subtils rapprochent le personnel du cycle romanesque de Solal, la voix lyrique des monologues intérieurs de Belle du Seigneur, les instances narratives des essais et le discours épidictique dédié à Winston Churchill ? Question a priori complexe. Foisonnante, parfois débordante dans sa polyphonie, l’œuvre de Cohen s’organise pourtant autour d’une ligne de force qui n’est pas immédiatement perceptible, celle de la table. Constituant un réseau de signes qui affleurent dans les textes, le champ de la nourriture se transforme en un langage porteur d’obsessions récurrentes. Poids des origines, héritage des traditions, comédie de l’amour, questionnements métaphysiques, tous les domaines s’évaluent à l’aune du comestible. Manger, c’est donner un sens à son existence. Mordre dans un chocolat, c’est goûter le présent et ses gourmandises, mais aussi renouer avec un passé inquiétant. De cet univers ambigu émerge cependant Mangeclous, le « vainqueur éternel ». Conviant les Valeureux à partager maints festins plus ou moins transgressifs, le personnage excède les contours de la figure burlesque pour sublimer le prosaïque. C’est par son regard que surgit la vision d’un monde dont la quête est celle d’une sagesse à hauteur d’homme. Refusant les codes d’une bourgeoisie vaudevillesque, Mangeclous élève l’appétit au rang de vertu, prône avec ironie les mérites du mensonge et érige le plaisir de manger en règle de vie. Nouvel avatar des géants rabelaisiens, ce prophète comique ne s’épanouit que dans le paradoxe et l’amour des nourritures.
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